Pourquoi votre iPhone n’est pas une caméra professionnelle

La qualité vidéo des smartphones aurait tellement augmenté que ceux-ci pourraient déjà remplacer nos boitiers hybrides, réflex et autres caméras professionnelles. Pourtant, malgré leurs technos de plus en plus poussées, on ne trouve pas trace de smartphones sur les tournages. Alors, avez-vous vraiment une caméra professionnelle dans votre poche ? 

iPhone vs Blackmagic © Aymeric Guittet

Vidéo 4K, ralenti jusqu’à 240 images par seconde, stabilisation multi-axes, autofocus réactif, multiples focales… c’est un fait, les capacités vidéo des smartphones haut de gamme n’en finissent plus de progresser. Cette croissance n’est pas prêt de s’arrêter : le marché est dynamique (tout le monde a un smartphone et le renouvèle - trop - régulièrement) et l’industrie doit continuer à séduire son public en promettant toujours de nouvelles fonctions et technologies aux noms (si possible) ronflants. 

Samsung passe donc de la 4K à la 8K, Vivo invente le gimbal intégré au smartphone, et Apple nous promet un mode un mode cinématique avec la vidéo à 24 images par seconde (la cadence d’images du cinéma) et une gestion logicielle du bokeh. Qu’importe la crédibilité de la promesse, il faut vendre du rêve et faire croire aux consommateurs que le smartphone est une caméra professionnelle miniature à glisser dans votre poche. Quoi de plus naturel ? Le smartphone a déjà remplacé tant d’objets quotidiens, et les usages numériques (TikTok, Reels sur Instagram, YouTube…) vont vers toujours plus de consommation et de création vidéo. 

© Mohd Danish Hussain / Unsplash

Pourtant, malgré tous ces efforts et ces bonds technologiques, la caméra-smartphone est presque inexistante sur les tournages pros. Peut-être parce qu’il y a une différence entre créer un contenu rapide pour un réseau social et réaliser un court-métrage, un documentaire ou une pub. Alors, pourquoi le smartphone n’est pas prêt de remplacer un réflex, un hybride, ou une caméra ? 

Une image peu naturelle, issue d’algorithmes

Premier défaut de la caméra-smartphone, le plus évident selon moi : la qualité d’image. Attention, je n’entends pas par là que les photos et les vidéos prises par un téléphone sont de mauvaise qualité : pour l’essentiel des modèles, le nombre de pixels est largement suffisant (12 Mégapixels, jusqu’à 108, bientôt 200…), l’image est détaillée, bien exposée, la dynamique souvent bonne. 

Non, ce qui rend l’image vidéo d’un smartphone impropre à une création pro tient à 5 aspects : 

  • Le rendu beaucoup trop net des détails, des formes, des lignes

  • Les couleurs sur-saturées et peu naturelles

  • La dynamique artificielle, produisant une image parfois irréelle

  • Le bokeh (ou flou d’arrière-plan) quasiment inexistant

  • L’ergonomie, peu adaptée à la prise de vue vidéo

Examinons en détail tous ces éléments.

La netteté trop prononcée des détails

Premier point : la netteté trop prononcée des détails. Par là, j’entends que chaque forme ou objet composant l’image va avoir des contours très tranchés, voire durs. En soi, l’image produite par le smartphone ne sort pas exactement comme cela : c’est le traitement logiciel du fabricant qui va opérer cette transformation. Pourquoi ? Sans doute pour compenser le manque de piqué naturel dû à l’utilisation d’un petit capteur. Cette sur-netteté est une vieille recette des fabricants, pointée au moins depuis 2017, et qui continue d’être utilisée dans les tout-derniers modèles.  

Image issue de la BMPCC 4K © A.G.

La différence est flagrante entre l’image ci-dessus ↑, issue de la Blackmagic Pocket Cinema Camera 4K (BMPCC 4K), et l’image ci-dessous ↓, issue d’un iPhone récent. Certes, l’image de l’iPhone plaît davantage au premier coup d’oeil, elle est mieux exposée, ses couleurs sont plus vives ; en revanche, les détails sont trop prononcés et les couleurs souvent irréalistes (notamment le ciel, beaucoup plus fidèle sur l’image de la BMPCC 4K).

Image issue de l’iPhone © A.G.

Les couleurs sur-saturées

Deuxième aspect, le manque de naturel des couleurs produites. Cherchant à séduire immédiatement au consommateur lambda, lequel cherche lui-même à plaire à son entourage et ses abonnés, Apple, Samsung ou Xiaomi font presque tous le pari de couleurs très saturées. Les verts deviennent flashy, les oranges tournent fluos, les bleus finissent pimpants, les blancs sont éclatants (cf. comparaison ci-dessus). Certes, cela dépend des environnements (l’algorithme s’adapte aux scènes rencontrées) et il y a des cas où le smartphone produit des couleurs assez fidèles. Mais ce manque de constance est à éviter pour un vidéaste professionnel, qui cherche toujours à maîtriser le rendu des couleurs, et par là même, l’ambiance donnée à une scène. 

En effet, l’image d’un boitier vidéo, quelle soit Raw, log, flat ou même déjà traitée, n’est pas toujours belle ou pimpante : elle exige souvent du vidéaste / coloriste qu’il en tire le meilleur en post-production. Si je prends l’exemple d’une de mes caméras, la Blackmagic Pocket Cinema Camera (BMPCC 4K), l’image vidéo (au format ProRes) est très définie mais les reliefs sont doux, les couleurs sont à la fois naturelles et pleines de promesses. L’image laisse au vidéaste la possibilité de l’exploiter comme il l’entend ensuite, même s’il ne tourne pas en Log ou en Raw. Cette différence entre smartphone et caméra professionnelle est bien visible dans cette vidéo réalisée par le Youtuber Potato Jet :

La dynamique artificielle de l’image

Troisième point, la dynamique irréelle de l’image vidéo des smartphones. La dynamique, c’est la capacité d’un boitier à aller chercher de l’information à la fois dans les hautes lumières (le très clair) et dans les ombres (le sombre). Prenez une scène très contrastée, avec un paysage ou un premier plan sombre mais un ciel très lumineux : une bonne dynamique vous permettra de garder tous les éléments bien exposés, le ciel ne sera pas cramé, vous pourrez voir ses nuages et ses nuances de couleur, et le premier plan offrira du détail sans être trop bruité.

En principe, disposer d’une bonne dynamique est donc une bonne chose. Toutefois, cherchant à compenser la petitesse du capteur, les algorithmes de nos smartphones poussent cette fonction trop loin, et ajouté à des couleurs trop saturées (cf. plus haut), l’image devient franchement peu conforme à la réalité : les ombres deviennent claires et les hautes lumières s’assombrissent. La scène devient peu contrastée, plate, et parfois surnaturelle, comme le montre assez bien la vidéo ci-dessous (shootée avec le dernier Samsung Galaxy S22 Ultra) : 

Bien sûr, on peut arguer que les fabricants de boitiers dédiés à la photo et la vidéo prennent eux-mêmes les chemin de la high dynamic range (HDR). Toutefois, sans être un spécialiste, je crois qu’ils le font avec plus de subtilité, sans pousser le bouchon trop loin et en gardant quoiqu’il arrive leurs couleurs fidèles. 

Le bokeh trop limité

Quatrième point limitant l’usage de nos smartphones pour la vidéo : le faible flou d’arrière-plan, ou bokeh. Contrainte de taille oblige, les capteurs de nos smartphones sont petits (1 pouce étant le grand maximum, sur des modèles élitistes tels que le Xiaomi 12S Ultra et le Sony Xperia Pro-I, mais la majorité tourne autour de 1/1,7” ou 1/1,33”) : or, plus un capteur est petit, moins le bokeh est prononcé. Et cela d’autant plus que les lentilles (ou objectifs) de nos compagnons du quotidien sont miniaturisées, à l’opposé des nombreuses couches de verre constituant la focale fixe d’un boitier photo ou vidéo. La grande ouverture de ces petites optiques (f/2.0 jusqu’à f/1.4 aujourd’hui) ne leur est pas d’un grand secours pour créer naturellement ce fameux flou, à l’inverse des boitiers pros.

Image prise avec une focale fixe montée sur la BMPCC 4K, ouverture f/1.7 © A.G.

Il n’y a pas match entre ces deux images. La première est issue de la BMPCC 4K (ci-dessus ↑), avec une focale fixe dotée d’une grande ouverture (f/1.7) : le bokeh est très prononcé, les objets situés à 1 mètre derrière sont déjà flous, et les immeubles au loin sont indiscernables. La seconde est issue de l’iphone (ci-dessous ↓), avec la focale dédiée au téléobjectif : le bokeh est très léger, bien moindre que ce que la grande ouverture (f/2.O) laissait espérer.

Image prise avec la focale “téléobjectif” de l’iPhone, ouverture f/2.0 © A.G.

Mais le bokeh est-il indispensable pour tourner une belle vidéo ? Pas toujours, mais il rend de grands services. Il permet d’isoler un sujet de son environnement, en focalisant l’attention sur lui. Il ajoute une esthétique à l’image (certains bokehs sont plus beaux que d’autres). Tout cela, nos smartphones cherchent à le simuler à défaut d’en être naturellement pourvus : les algorithmes (encore eux) identifient le sujet, le détourent et « bokéhisent » l’arrière-plan.

Photo prise avec le mode “portrait” de l’iPhone. Les erreurs de l’algorithme, qui crée artificiellement le flou, sont ici presque imperceptibles. Mais est-ce fiable dans toutes les conditions ? © A.G.

En photo, ce système a commencé il y a 7 ou 8 ans déjà, et le résultat est parfois très bon, à tel point qu’il peut être difficile de distinguer le portrait pris par un iPhone haut de gamme de celui pris par un hybride à plusieurs milliers d’euros. En vidéo, la mise en oeuvre de ce bokeh artificiel est plus récente mais donne parfois des résultats spectaculaires, comme le montre le mode cinématique introduit à partir de l’iPhone 13 chez Apple. 

Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? D’abord, le manque de fiabilité de la méthode : si le détourage du sujet progresse, il manque encore souvent sa cible au moment sur des détails compliqués. Les cheveux, par exemple, sont souvent floutés à tort par l’algorithme. Deuxièmement, le côté artificiel du processus, rapidement remarqué par un professionnel : en vidéo, ce bokeh artificiel ne ressemble pas vraiment au bokeh naturel produit par une lentille de qualité. Enfin, ce flou ajouté manque de progressivité, point sur lequel les fabricants de smartphones continuent de travailler. 

L’ergonomie, inadaptée au tournage

Pour terminer cette partie sur l’inadaptation des smartphones à la prise de vue vidéo, abordons l’ergonomie. En tournage, vous devez disposer d’une prise en main parfaite, et être réactif sur vos réglages pour ajuster à tout moment la captation aux conditions. Ces deux points font cruellement défaut au smartphone. Nativement (sans coque ou accessoire dédié), un smartphone glisse dans la main, il n’offre pas de prise ferme. Pas idéal pour une journée de tournage où on tient son boitier pendant plusieurs heures. De même, l’application vidéo native est souvent minimaliste, permettant au mieux de régler la mise au point et l’exposition : pas de réglage de l’obturateur (shutter speed), de la balance des blancs, du niveau du son, du focus peaking et encore moins de l’ouverture, celle-ci étant fixe…

Alors, oui, on peut résoudre l’ergonomie en intégrant le téléphone sur un stabilisateur ou au sein d’une cage dédiée. On peut accéder à de multiples réglages de prise de vue grâce à une application comme Filmic Pro. Tout ces accessoires aident, et ce n’est pas pour rien que certains journalistes sont équipés d’iPhone pour des prises de vue professionnelles. Il n’empêche que, et c’est tout à fait personnel, j’ai du mal à me sentir 100% photographe ou vidéaste avec un smartphone à la main : l’outil est trop multi-fonctions, tout se passe sur l’écran, il manque le côté « physique » de l’appareil et l’accès à des boutons dédiés à la prise de vue. 

Un exemple de configuration professionnelle autour d’un iPhone : trépied, poignées, lumière et micro © Smallrig

Le paradoxe des fabricants de smartphones

Parvenant au bout de cet article, nous comprenons le paradoxe : les fabricants se vantent d’offrir des capacités vidéos toujours plus professionnelles, mais à l’arrivée, leur approche ne cherche pas vraiment à se rapprocher des attendus d’un boitier conçu pour la vidéo. C’est dommage car le problème tient en bonne partie non pas au capteur ou au matériel, mais aux algorithmes de traitement de l’image : les fabricants cherchent pour l’instant d’abord à créer une image grand public, qui flattera immédiatement la rétine. 

Vous me répondrez que la grande majorité du public est peu sensible à la différence entre ces images (à définition égale) entre smartphone et caméra pro. Et vous aurez peut-être raison. À mes débuts, j’étais très impressionné par ces vidéos cinématographiques réalisées avec les modèles haut de gamme Apple ou Samsung. Je ne voyais absolument pas en quoi une caméra ou un réflex pouvaient faire mieux. 

Encore aujourd’hui, je trouve ces vidéos superbes. Ainsi travaillée et dans ce cadre, l’image a peu à envier à un boitier vidéo pro. Avec le recul permis par ma pratique professionnelle, j’ai toutefois compris plusieurs choses :

  • L’image est captée à travers une application smartphone spécifique, Filmic Pro

  • La prise de vue est assurée par un professionnel aguerri de l’image, qui a roulé sa bosse sur d’autres boitiers

  • La colorimétrie est très travaillée

  • Sur un écran d’ordinateur, les défauts apparaissent plus nettement

En un mot : sous certaines conditions, un bon smartphone peut faire de très belles images, aussi bien qu’une caméra professionnelle. Mais pour y parvenir, il faut être déjà expérimenté en vidéo (on n’y parvient pas du premier coup), utiliser une appli tierce, quelques bons accessoires (qui nuancent du même coup l’idée d’un tournage « léger ») et un bon logiciel pour corriger les défauts des images et améliorer leur colorimétrie. Le smartphone peut être une bonne option pour un journaliste de terrain ou un vlogueur, et est très adapté pour poster du contenu sans trop se prendre la tête sur les réseaux sociaux. 

Conclusion : la qualité vidéo des smartphones dépassera-t-elle celle des boitiers pros ?

Le smartphone du futur parviendra t-il à corriger les défauts des modèles actuels et à rendre nos caméras obsolètes ? Difficile à dire. Un haut responsable de Sony a beau affirmer que la qualité photo et vidéo des smartphones dépassera bientôt celle des réflex, je reste dubitatif. Pour l’instant, Apple comme Samsung cherchent à séduire les apprentis vidéastes en contrebalançant les faiblesses physique des capteurs et optiques par les algorithmes. Et plus le temps passe, plus le poids du traitement de l’image devient important, comme le montre cette vidéo publiée par la chaîne Moment :

Sony et Xiaomi, avec certains de leurs smartphones ultra haut de gamme, prennent un parti légèrement différent : augmentation de la taille du capteur (jusqu’à 1 pouce pour l’instant), multitude de réglages dans une appli dédiée et véritable effort pour produire une image douce et naturelle. Prix : entre 900 et 1400 €. Soit le prix d’un boitier vidéo de qualité et d’une bonne focale fixe, vos meilleurs atouts pour un rendu vraiment pro. —

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Aymeric Guittet

Réalisateur et journaliste basé dans les Alpes, je réalise des films documentaires, des reportages et de la captation vidéo d’événements.

https://aymericguittet.com
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